Le cinéma de Thibault

Le cinéma de Thibault

Un conte de noël, le 2 décembre 2008 en DVD ****



Un conte de noël d'Arnaud Desplechin

Synopsis


À l'origine, Abel et Junon eurent deux enfants, Joseph et Elizabeth. Atteint d'une maladie génétique rare, le petit Joseph devait recevoir une greffe de moelle osseuse. Elizabeth n'était pas compatible, ses parents conçurent alors un troisième enfant dans l'espoir de sauver Joseph. Mais Henri qui allait bientôt naître, lui non plus, ne pouvait rien pour son frère - et Joseph mourut à l'âge de sept ans. Après la naissance d'un petit dernier, Ivan, la famille Vuillard se remet doucement de la mort du premier-né. Les années ont passé, Elizabeth est devenue écrivain de théâtre à Paris. Henri court de bonnes affaires en faillites frauduleuses, et Ivan, l'adolescent au bord du gouffre, est devenu le père presque raisonnable de deux garçons étranges. Un jour fatal, Elizabeth, excédée par les abus de son mauvais frère, a "banni" Henri, solennellement. Plus personne ne sait exactement ce qui s'est passé, ni pourquoi. Henri a disparu, et la famille semble aujourd'hui dissoute. Seul Simon, le neveu de Junon, recueilli par sa tante à la mort de ses parents, maintient difficilement le semblant d'un lien entre les parents provinciaux, la soeur vertueuse, le frère incertain et le frère honni...

L'avis de Thibault

Le nouveau film d'Arnaud Desplechin, présenté à Cannes en compétition officielle cette année, commence comme une farce et s'achemine vers quelque-chose de plus sombre, ou peut-être de plus lourd. La famille qu'il nous présente est éclatée, au premier sens du terme, presque frappée par une malédiction dont elle semble s'accommoder. C'est un film sur la liberté de tout se dire et qui fait s'interroger chacun d'entre nous sur ces rapports complexes qui composent la famille. Histoire d'une famille qui se déchire et qui s'aime sans savoir s'aimer. Dans cette famille, Œdipe est partout, il n'y a plus de rois, plus de reines, il ne reste que des enfants, tous trop égoïstes.

Chez ces Atrides au petit pied, à la veille de Noël, Junon, la mère atteinte de leucémie a besoin d'une greffe de mœlle, et doit obtenir de ses enfants un test de compatibilité. Parmi eux Elisabeth, l'aînée, psychorigide et dépressive et Henri, conçu pour sauver un frère aîné de la leucémie. Il n'était pas compatible, Joseph est mort et Henri est devenu le mal aimé de la famille. Parce qu'il a eu le sentiment d'être conçu comme un "enfant-médicament" ? Parce que Junon lui a fait sentir qu'elle ne l'aimait pas, qu'il avait tort de vivre ? Ou parce que c'est un perturbateur né ? A chacun sa réponse... Il faut inviter le mouton noir qu'Elisabeth avait banni. Un à un, les membres de la famille Vuillard, déchirée depuis des années, passent sous le scalpel d'Arnaud Desplechin qui les dissèque, les fouille sans complaisance. Le scénario est une merveille de finesse, d'humour et d'intelligence.

Cette histoire familliale trouve écho en quiconque a connu un repas de Noël semblable, de ceux où le vernis des conventions craque et où les vieilles zones d'ombres sont mises à jour... Difficile de situer la limite entre l'amour et la haine que se portent des personnages complexes mais passionnants. On se balance sans aucune pudeur les pires monstruosités à la figure, mais tout cela est filmé avec tant de finesse, d'humour, d'intelligence, qu'on finit par croire et à prendre du plaisir à ce déchirement familial. L'indécence des sentiments, la violence des dialogues, l'intolérance d'une sublime et névrosée soeur, tout cela passe merveilleusement bien.

Le réalisateur accède à la grandeur en radicalisant les traits fondamentaux de son cinéma, tout en s'adressant avec une grande générosité au plus grand public. Desplechin a toujours fait des films hybrides qui n'avaient pas de frontières dans l'esprit comme dans leurs références. Ce film regorge de références (cinématographiques, littéraires, musicales, picturales...) mais en les fondant dans une matière romanesque qui emporte et secoue, qui meut et émeut. Ce que le film dit sur la nature de ces liens, sur le don, sur le jeu, sur tout ce qui fait que les êtres les plus ordinaires sont des héros, voire des mythes (dans la droite ligne de Rois et Reine), tout en étant médiocre comme des humains, tout cela est à la fois magnifique et pathétique, bouleversant et hilarant.

Les comédiens sont tous impeccables ils ne jouent pas, ils sont, ils transportent le film. Mathieu Amalric s'érige, rôle après rôle, comme un monstre sacré du 7ème Art. Le comédien se régale de l'ignominie de son personnage. Catherine Deneuve est magistrale et exceptionnelle. Emmanuelle Devos nous montre une facette de son talent jusqu'à lors inexploitée et donc inconnue. Anne Consigny est vraiment émouvante tout comme le jeune Emile Berling, Chiara Mastroianni ou Jean Paul Roussillon.

Arnaud Desplechin signe avec ce Conte de Noël un portrait chirurgical, reposant sur un subtil malaise, moins évident que le cancer dont il est question. C'est le temps des règlements de comptes et des conflits familiaux, un réjouissant jeu de massacres mêlé d'humour et de douleur. Le réalisateur a saisi dans cette famille un morceau de tragédie grecque, une touche de Wes Anderson et une touche de Bergmann. Son film transpire, respire, retient son souffle : il vit.

Fiche technique

Genre : Comédie dramatique

Nationalité : Française

Réalisation : Arnaud Desplechin

Casting : Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon, Anne Consigny, Mathieu Amalric, Melvil Poupaud, Hippolyte Girardot, Emmanuelle Devos, Chiara Mastroianni, Laurent Capelluto, Samir Guesmi, Hélène Darras, Emile Berling, Francoise Bertin, Azize Kabouche, Clément Obled, Thomas Obled et Romain Goupil

Durée : 150 minutes

Année de production : 2007

Date de sortie : 21 Mai 2008

N° de visa : 117486

Découvrez la playlist Un conte avec Grégoire Hetzel


03/03/2009
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