Le cinéma de Thibault

Le cinéma de Thibault

De rouille et d'os, le 17 mai 2012 au cinéma ****



De rouille et d'os de Jacques Audiard

Synopsis


Ça commence dans le Nord.
Ali se retrouve avec Sam, 5 ans, sur les bras. C'est son fils, il le connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali trouve refuge chez sa sœur à Antibes. Là-bas, c'est tout de suite mieux, elle les héberge dans le garage de son pavillon, elle s'occupe du petit et il fait beau.
A la suite d'une bagarre dans une boîte de nuit, son destin croise celui de Stéphanie. Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone.
Il est pauvre ; elle est belle et pleine d'assurance. C'est une princesse. Tout les oppose.
Stéphanie est dresseuse d'orques au Marineland. Il faudra que le spectacle tourne au drame pour qu'un coup de téléphone dans la nuit les réunisse à nouveau.
Quand Ali la retrouve, la princesse est tassée dans un fauteuil roulant : elle a perdu ses jambes et pas mal d'illusions.
Il va l'aider simplement, sans compassion, sans pitié. Elle va revivre.

L'Avis de Thibault

Jacques Audiard est de retour à Cannes trois ans après son Grand prix du Jury pour Un Prophète. Le réalisateur était attendu au tournant. Il revient avec une adaptation du recueil de nouvelles de Craig Davidson : Un goût de rouille et d'os, publié en septembre 2005.

Ali est un père fauché et indigne qui laisse son fils chez sa sœur, préférant s'adonner à sa passion, le combat. Alors qu'il est videur, il fait la rencontre de Stéphanie qu'il raccompagne chez elle, blessée lors d'une altercation dans la boîte de nuit. Dresseuse d'orques, elle se fait amputé du bas des jambes suite à un incident lors d'une représentation au parc aquatique. Il va trouver chez Stéphanie celle qui révèlera toute sa sensibilité.

Dans leur travail d'adaptation, Jacques Audiard et son scénariste Thomas Bidegain ont pris quelques libertés avec le roman. Face à une telle densité, Jacques Audiard a préféré se focaliser sur deux d'entre eux, pour les faire se rencontrer et leur donner une chance de se reconstruire. D'un côté, une dresseuse d'orques, privée de l'usage de ses jambes suite à un accident ; de l'autre, un père sans le sou, venu s'installer chez sa sœur dans le Sud de la France. Il emprunte donc brillamment les voies du mélodrame et orchestre audacieusement la rencontre casse-gueule entre ces deux écorchés de la vie diamétralement opposés. La construction de ce film fait en sorte que l'on se retrouve face à une histoire surprenante, profonde et sans pathos. Le scénario est brillant sur le fond comme sur la forme.

De rouille et d'os se présente comme le petit frère de Sur mes lèvres. De nombreuses similitudes le prouvent : la confrontation entre deux marginaux meurtris par la vie, le handicap (la surdité faisant place à l'hémiplégie) ou encore les scènes de boîte de nuit. Sans surprise, on retrouve les thèmes de ses précédents longs métrages : la relation père-fils (De Battre mon cœur s'est arrêté), les rapports de force (Un prophète), l'apprentissage de la vie (Regarde les hommes tomber), la quête de rédemption à travers une femme et la toile de fond sociale (Sur mes lèvres). Mais le résultat est infiniment plus complexe.

Jacques Audiard nous fait plonger dans le film dès le début avec ce magnifique gros plan laissant entendre un léger souffle de vie, souffle par lequel tout le film se tient. Il sublime la souffrance. Là où certains réalisateurs joueraient sur la surenchère d'un accident impressionnant, Audiard ne fait que le suggérer. Il sait filmer les choses les plus simples sans jamais les banaliser. On est surpris par une approche frontale du handicap rarement vue au cinéma, le script abordant sans tabous toutes les questions liées à la situation de son héroïne avec un naturel stupéfiant. En dépit des handicaps, Audiard ne les réduit jamais à des monstres de foire et leur rend une noblesse au moment où ils se noient dans la haine d'eux-mêmes. Il ne cache rien. Plus la misère se creuse, plus l'humanité des personnages apparait. Il ajoute aussi un regard d'une grande acuité sur une dure réalité sociale et dit plus de choses sur la condition de caissière que dans le film Les tribulations d'une caissière.

Le récit dégage une puissance émotionnelle phénoménale car Audiard n'est jamais là où on l'attend. Un moment de bonheur peut rapidement basculer dans le drame le plus violent. La violence éclate de partout : elle est symbolique, elle est physique, elle est latente, elle est concrète, elle est dans des ambiances, dans des paroles.... Audiard la filme de manière brute, sans fioritures. Il laisse toute la force du récit se dérouler sous nos pieds alors que l'on est en train de se prendre un uppercut émotionnel. Il y a dans ce film une fascination pour le corps humain : corps brisé qu'on aime et qu'on honore, corps parfait qu'on met en danger. Le corps des individus, les corps de la société, les mêmes mutilations : perdre ses jambes, perdre son travail. Le rapport au corps est plus que jamais au cœur de son sixième long-métrage.

De nombreuses scènes sont d'une rare intensité. Il capte des morceaux de vie, montre comment une émotion (une rencontre, une déception) peut transformer le regard, sonde la renaissance du désir et répare les corps le temps d'une baignade ou d'une étreinte. Le montage de Juliette Welfling ne trahi jamais le spectateur. La musique d'Alexandre Desplat relève de la volonté de replacer le son au centre du film. La partition sublime colle si bien aux images qu'elle accompagne le film.

Marion Cotillard est éblouissante de justesse dans l'émotion. Après 5 ans de seconds rôles, l'actrice signe son grand retour et tient là, le rôle à sa mesure. La sobriété lui va très bien. Pas besoin de crises de larmes, un regard creux et un cheveu gras peuvent faire passer beaucoup plus que tous les sanglots du monde. Son plus beau rôle. La bonne idée est d'être aller chercher Matthias Schoenaerts pour interpréter Ali, personnage déjà père mais pas encore adulte. Puissant et fragile, sa présence physique crève l'écran. L'acteur est attachant malgré sa maladresse continue dans sa relation avec autrui. Découvert dans l'impressionnant Bullhead, il joue avec un naturel incroyable, irradie une nouvelle fois l'écran et confirme sa place parmi les meilleurs acteurs du moment. Il en faut du talent et de la justesse pour incarner tous ces êtres cassés physiquement, psychologiquement ou socialement mais qui puisent aussi bien en eux-mêmes que dans les autres et dans les épreuves qu'ils traversent la force de s'en sortir matériellement ou de s'épanouir émotionnellement. Dans les seconds rôles, notons la présence de Corinne Masiero, dévoilée tardivement par le personnage Louise Wimmer dans le film éponyme, sorte d'icône prolétarienne sur grand écran. Elle est scotchante de naturel avec une gueule qui respire le vrai. On regrette la relative discrétion de Céline Sallette, nominée aux César 2012 en tant que Meilleur Espoir Féminin pour son rôle dans L'Apollonide - souvenirs de la maison close. Bouli Lanners est excellent. On le retrouve toujours avec plaisir de film en film.

Un film d'où se dégage une telle émotion, une telle poésie sans jamais sombrer dans la facilité du tire larmes ou du drame social trop réel! De rouille et d'os est en définitive une œuvre poignante qui reprend dignement le flambeau à Sur mes lèvres.

Fiche Technique

Genre : Drame

Nationalité : Belge et Française

Réalisation : Jacques Audiard

Interprètes : Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand Verdure, Céline Sallette, Corinne Masiero, Bouli Lanners, Jean-Michel Correia et Mourad Frarema

Durée : 115 minutes

Année de production : 2012

Attachés de presse : Marie-Christine Damiens, Magali Montet et Delphine Mayele

Ce film est présenté en Sélection Officielle - Compétition au Festival de Cannes 2012

Date de sortie : 17 mai 2012

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18/05/2012
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